Le Romantisme al dente.

Les lacs italiens au mois de novembre, c'est comme la pizza en auvergne : risqué...

La vraie vérité c’est que nous sommes d’abord passés par Lyon. Et que lorsque tu passes par Lyon au mois de novembre, tout te parait ensuite d’une incomparable beauté…
Parce que Lyon au mois de novembre, c’est gris, moche et mouillé.
Et quand c’est pas moche, c’est que c’est dans le brouillard…. Et je sais de quoi je parle : j’y suis né et n’en suis parti que plus de vingt ans après…

Donc en route pour les lacs italiens, par Grenoble et le col du Lautaret. Un peu de neige mais humainement, juste pour faire ambiance « seuls au monde ».


Sur certains forums de voyage, on a parfois des sujets du genre " qu'est-ce que je vois de ma fenêtre ?".

Ce qu'on appelle "avoir des goûts de chiotte..."


Briançon, le Montgenèvre et, donc, Italia bella.
Voyage agréable, j’adore le Zouzou avec la boite auto qui te tire des lacets tout en puissance et en douceur.

Traversée de la plaine italienne par les autostrades, temps gris mais comme le paysage est d’une mocheté déprimante, c’est pas grave.

Premier lac, Orta.
Petit, calme, peu connu parce que discret, sans le côté flamboyant de ses congénères. Le temps est encore couvert, parfois un léger crachin, mais la douceur est là et l’humidité fait sortir les couleurs, sympa.


Omegna, tout en haut du lac, sans prétention mais avec déjà tout le charme de ces villes moyennes italiennes, peuplée d’italiens ordinaires et donc, déjà, extraordinaires : ils vivent dans l’Histoire, ou l’Histoire vit en eux, et ils en tirent cette sorte de classe naturelle, de maintien, et de jovialité, qui les rends si agréables.

Fallait oser, non ?


Le soir petit bivouac dans la montagne au dessus : petite route, puis toute petite route, puis chemin, et enfin bois de châtaigniers.
Tapis de feuilles au sol, humidité à 110%, chauffage à 25°dans la cabane, apéro/scrabble, la vraie vie quoi.


Cap au nord le lendemain pour rejoindre le lac voisin, lago Maggiore.
Visite des Iles Borromées prévue, mais le temps n’est pas au rendez-vous et nous ôte l’envie de prendre le bateau, sachant qu’il faut rester au minimum une heure sur chaque île avant d’embarquer pour la suivante. Bof… Petites photos pour saisir l'ambiance.


Nous décidons donc une remontée vers l’extrémité nord, à savoir Locarno. C’est la Suisse là bas, et à mesure qu’on s’en approche, l’ambiance se met à la mode hélvétique : curieux, imperceptible et impalpable, mais toujours passionnant de voir comment les changements de nation influent sur l’atmosphère ambiante.


Cette route est un régal ; peu de circulation en cette période, une végétation méditerranéenne sur fond de feuillus en robe d’automne, et des propriétés d’un charme à la fois classique et tellement italien qu’on croirait que Georges Clooney va te servir un expresso dans le prochain bistrot.


Bon, on le verra pas mais on sentait bien qu’il était pas loin...


En approchant de la frontière, le GPS calé sur Locarno commence à montrer des signes de grande ébriété, comme s’il préférait Georges Clooney aux culottes de peau et autres vaches habillées en Lindt. En gros, il veut absolument que nous fassions demi-tour.
On lui coupe le son, mais il continue de faire le çon, malgré quelques petites tapes sur le bocal qui sont, tous les spécialistes du nerf à vif le savent, l’ultime recours lorsque tu as envie de prendre le bazar et de le fracasser par terre en lui hurlant ta haine.

Nous continuons dédaigneusement notre route, jusqu’à ce que, passé la frontière, nous comprenions la cause de sa grande agitation : figurez-vous que cette daube, que j’ai heureusement emprunté à mon fils, et que je lui avais, malheureusement, offert ; que cette grosse daube donc, de marque Tomtom, cette grôôôôôôsse daube donc, n’a pas la cartographie de la Suisse !
Nan, kein Suisse : pour monsieur Tomtom, l’Europe est un ensemble de nations avec un trou au milieu, que l’on peut nommer la Suisse si on veut vraiment chipoter, mais qui n’existe pas !!! Tu le crois ça ???

Et là ça devient un peu gênant parce Locarno est traversée par une voie ferrée et que si tu es d’un côté il te faut attendre le prochain passage pour passer de l’autre côté.
Et ceux qui connaissent savent que dans ces cas là, tu n’es jamais du bon côté…

On se retrouve donc, après plusieurs passages aux mêmes endroits, que quand tu vois que tu reviens ici un quart d’heure après ton passage précédent tu penses que la terre entière s’est liguée contre toi en tournant sans arrêt plus vite que tu ne roules ; on se retrouve donc, de nuit, sur la plus petite route du coin, la plus défoncée aussi, face à un panneau nous informant qu’au-delà de cette limite c’est la piste d’atterrissage des gros navions qui volent, et que si nous tenons à conserver l’intégralité de nos personnes ainsi que notre appareil de voyage en un seul morceau, il serait souhaitable que nous renoncions à continuer dans cette direction… Glouc…

Notre instinct de survie nous fait donc longer le terrain en question et nous mène face à un portail que je reconnais aussitôt : c’est celui qui était déjà devant nous l’an dernier, aux États Unis lorsque nous étions super bourre pour attraper le vol de retour ; c’est celui qui se dresse toujours devant toi à ce moment là, métallique, infranchissable, pleins de panneaux t’expliquant qu’être là est déjà un pécher mortel, narquois, mesquin, impératif et définitif.
Alors tu fais demi-tour, vaincu, honteux, et un grand silence règne dans la voiture parce que tout le monde sait que l’explosif est armé, que la mèche est très courte, et que la moindre étincelle va faire péter le truc…

Bon, on a survécu. Et retrouvé la bonne direction et l’Italie, mama mia, et on a filé jusqu’à Luino où une succulente pizza diluée par une bouteille de rosatto spumente nous a fait redescendre les boules au niveau qu’elles n’auraient jamais dû quitter…


Et là, là, nouvelle aventure. Si.

Trente ans que nous voyageons en camping car, et là, ce doit être la cinquième fois que ça nous arrive, nous décidons de passer la nuit sur ce petit parking sympa au bord du lac, avec le soleil qui se lèvera en éclairant la rive d’en face.


Un peu en ville certes, mais il y a si peu de monde à cette époque...
Première statistique favorable, cinq fois en trente ans qu’on ne se niche pas au fin fond de la brousse, c’est peu.
Deuxième statistique extrêmement favorable, on ne repeint pas les barrières au bord du lac tous les jours, non ? Disons qu’avec une fois tous les trois ans, nous sommes à une chance sur mille, environ.

Donc, lorsqu'au petit matin nous voyons un zig avec un bonnet enfoncé jusqu’aux yeux venir caresser la rambarde avec son petit chiffon, on se pousse du coude en rigolant devant l’idiot du village qui vient assouvir ses fantasmes.

Lorsqu’un autre simplet le rejoint et frotte de concert, on se dit qu’il y a un nid dans les environs, que toute rigolade est bonne à prendre et on beurre nos tartines en pleine crise de fou rire.

Mais lorsqu’un troisième met la disqueuse en route pour nettoyer tout ça, on comprend que la statistique nous a rattrapé et qu’ils sont vraiment partis pour repeindre la barrière, maintenant, là, pile aujourd’hui qu’on est là…

Ce que l’ouverture de porte confirme : la rubalise est à cinquante centimètre de nous, la camionnette pleine de pots et de produits hautement toxiques est à un mètre, le chef téléphone à sa petite amie tandis que les ouvriers turbinent. Ah nous, ça nous arrive à nous…


Imagine que nous soyons en France : dès que tu te montres tout le monde t’agonit d’injures et te demande de dégager la piste avant qu’ils ne te repeignent ton engin couleur barrière de lac.

Mais ici, c’est l’Italie, ecco !
Alors c’est sourire, buongiorno, et tu finis tranquillement de te préparer tandis que le roi de la disqueuse fait son possible pour commencer le plus loin possible afin de ne pas trop te gêner.

J’aime l’Italie.


Luino, donc.


Après le réveil à la disqueuse, nous déplaçons un peu le Flat Cab et partons à pied visiter le coin. A voir le débarquement de ménagères avec charriots à roulettes, un marché n’est pas loin, et j’en connais une que ça excite gravement …

Le marché de Luino c’est ze marché ! Une organisation extraordinaire, des emplacements au millimètre, où tu peux voir un camion retardataire se faufiler au beau milieu alors que tout le monde est déjà installé. Le gars remonte une allée en fendant la foule, frôlant tout au long les étals en place tandis que les premiers installés écartent leurs toiles à l’aide d’une perche en discutant tranquillement avec le chauffeur.
Imagine ça en France, et l’émeute qui s’ensuivrait…
Ecco, siamo nella terra della sphagetti. En anglais : cool man !

Puis le gars se cale pile poil en un impeccable mouvement, et commence à déplier la bâche fixée sur son toit : un bazar plein de mignons vérins, qui bascule, tourne, s’écarte, se tend et se déploie finalement grâce à une télécommande, puis vient magiquement s’encastrer au milieu des autres.
On applaudit l’artiste, merci, du grand art.
Nos minables stores de camping car passent alors pour d’aimables confettis, tant la surface de toile impeccablement déployée peut te tenir à l’abri de la pluie et du soleil une noce et tous ses invités…


Quasiment tous les exposants possèdent ce génial système, et je me demande vraiment pourquoi je n’en ai jamais vu de semblable en France ? Quand tu vois les toiles pourries tendues par quelques ficelles anémiques bloquées par des lests improbables de nos marchés, que des types s’escriment à péniblement déployer pour obtenir une vague protection qui va foirer au moindre coup de vent, tu te dis que nous sommes dans la préhistoire du marché de province….
Ah je vois bien aussi l’engin fixé sur une cellule ! Attraction garantie au camping des flots bleus quand tu envoies d’un négligent mouvement du pouce tes cinquante mètres carrés de toile impeccable !

Le marché de Luino c’est aussi des professionnels incroyables qui te repèrent leur touriste français en trois secondes et te l’interpellent dans la langue genre « bonjour mon ami, tu te souviens de moi, nous nous sommes vus mercredi dernier ? »
Scotchés ! On a une pancarte dans le dos ? Une tronche particulière ? Une dégaine particulière ? Une odeur particulière ? Grand mystère !!!
Bon, soyons francs pour finir, le marché de Luino te présente aussi les mêmes merdouilles qu’ailleurs…

Après cette grande dose d’humanité grouillante, nous rejoignons le lac de Côme.


Là, c’est du lourd.


Comme la route le surplombe plus qu’elle ne le frôle, nous décidons de rejoindre directement Bellagio. Qui est apparemment ze spot super chicos et jet set de ce lac.


Apparemment, parce que là, c’est serein, incroyablement beau, taillé dans le charme massif d’un passé aussi somptueux qu’insouciant.
Harmonie, douceur, tranquillité, beauté, et nous sommes quasiment les seuls touristes ; Bellagio rien que pour nous, changez rien.


J’ai une boite à endroits magiques, et Bellagio vient d’y rejoindre Key West.
Quand tu te dis « tiens, là, je pourrais vivre », quand le charme t’allège, quand le passé te nourrit ; une petite magie, comme un matin glacé et lumineux après une première nuit.

Euh... on continue ou on entame un séminaire sur l’existence d’un dieu ?

On continue. Alors on file sur le lac d’Iséo.

Filer n’est pas très approprié parce que nous sommes le 3 novembre, et que le lendemain c’est la fête de l’unité italienne. Ce qui fait que, en gros, c'et un départ en ouikêne et donc, un bordel monstre sur la route….

Le début de la route longe de nombreux petits lacs de carte postale.


Mais viennent ensuite les environs de Bergame ! Yes ! Absolument pas habitués que nous sommes à ce genre de situation, oui, je sais, privilégiés on dit et on assume ; les environs de Bergame nous gâchent le plan : moche, triste, gris et bloqué.

Nous aborderons finalement le lac d’Iséo, cher à notre souvenir puisqu’il nous avait enchantés voici, euh…. sans dec… t’es sûr ? trente trois ans déjà ?
Je hais les mathématiques…

Nous avait enchanté parce qu’il représentait le charme à dimension humaine de cette région. Ben là, pareil, bonne surprise non ?


Lumière, atmosphère, calme, couleurs, faune et flore se conjuguent pour un scénario typiquement italien.
Encore une fois Georges rôde dans les environs, et nous dégustons nos cafés avec le sentiment d’être dans le film : de vieux italiens en vélo sortis de la pellicule de Scola, de jolies jambes qui tricotent venues tout droit de chez Antonioni, un gosse farouche de chez Benigni, la lumière inquiète de Bertolucci, l’extravagant décor de Fellini, et le sobre désespoir de Visconti sont là.


Iséo est un décor, un scénario et un dialogue à lui tout seul. Magique.


Le lendemain, retour, la plaine est noyée de brouillard : impeccable puisque c’est aussi moche qu’à l’aller.

Nous avons prévus le passage de frontière au col de la Lombarde pour retomber sur Isola 2000. C'est à 2300 m et nous sommes en novembre, ce qui est un peu risqué.
Un peu trop.


Et quand tu demandes à un carabinier, avec l’air chafouin du français indécrottable que tu es, si le col fermé est interdit ou impraticable, il fronce les sourcils, le temps de comprendre le sous entendu, puis il se gratte le menton, le temps de jauger ton degré de débilité, puis il ouvre la bouche, le temps de choisir ses mots, et enfin il te réponds dans un sourire plein de charme que si tu fais seulement semblant de penser à essayer de passer le col malgré le panneau, il prendra des mesures de rétorsion à côté desquelles la fin de Mussolini passera pour un agréable divertissement…
Plus de question, merci, et demi-tour pour finalement rejoindre le col de Tende et son tunnel, déçus, mais intacts…

L’Italie nous retient une dernière nuit, à la station de Limone, encore déserte. J’ai bien envisagé un moment de grimper sur la route des forts tout en haut, mais un panneau annonçant que c’est vietati e pericolosi, plus le souvenir du sourire assassin de notre carabinier m’ont dissuadé de tenter le coup… Lâche.

Donc bivouac pneus dans la neige, lumière glacée, chauffage ronronnant, nuit douillette et lever de soleil sur les sommets enneigés.


Nous rejoindrons la mer par l’arrière pays, tout en lumière et couleur, tout en lacets mignons offrants un tableau à la minute : et dire que nous ne sommes qu’à une heure de chez nous, quelle chance…







En guise de conclusion :
- la période était idéale, pour qui aime ces ambiances de saison creuse. Les journées se finissent tôt mais laissent du temps pour la lecture et l’apéro.
- nous venons de découvrir un autre avantage de la Flat Cab : aucune crainte de retrouver l’engin dévalisé ; vu qu’il est quasiment impossible à ouvrir sans mode d’emploi détaillé.
- enfin, l'Italie et ses habitants sont toujours empreints de ce flamboyant passé qui saupoudre chaque seconde de quelques grains de charme éternel.
Tchao tchao...

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